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La philo à l'école primaire: pourquoi et comment? Rencontre avec Alexandra Ibanès pour la sortie de son livre

 

Je suis particulièrement heureux de vous proposer ici l’interview d’Alexandra Ibanès à l’occasion de la sortie de son Livre La Philo à l’école primaire, publié aux éditions de L’Harmattan.

 

Particulièrement heureux parce qu’Alexandra est une amie proche et très chère avec laquelle je partage de nombreuses valeurs et passions communes. Une amie et une partenaire du LaboPhilo qui a publié plusieurs articles sur ce site, des articles éclairants pour la pratique philo en classe et l’éducation aux images.

 

Particulièrement heureux car j’ai l’honneur de suivre depuis un an le projet du livre d’Alexandra et qu’elle m’a fait le plaisir de me remercier pour mon soutien dans ses pages.

 

Particulièrement heureux enfin car pour moi ce livre apporte un vrai plus à la littérature consacrée à la philosophie pour enfants, un regard original et différent. En effet, le livre d’Alexandra Ibanès est le formidable témoignage, vivant et enthousiasmant, authentique et sans langue de bois, d’une enseignante exigeante, humaniste, passionnée par son métier, mais il est aussi un ouvrage qui nous éclaire sur le plan méthodologique, nous met en garde sur les écueils à éviter, nous invite à prendre de la hauteur, à réfléchir sur l’avenir de la pratique philo, et nous offre un regard sur les valeurs de l’école et sur l’enfance d’aujourd’hui.

      

Un livre différent dans le paysage de la pratique philo avec les enfants, complémentaire, et une pépite à découvrir, formidablement bien écrite, à lire même lorsqu’on a dévoré les classiques de la philo pour enfants.

 

 

Julien - Comment est né le projet de ce livre ?

Alexandra - Depuis 18 ans, j’anime des débats à visée démocratique et philosophique en classe de primaire et en toute discrétion. J’ai tout de suite compris combien les ateliers philo étaient importants pour mes élèves, combien ils apprenaient à mieux vivre ensemble, combien certains d’entre eux en échec scolaire s’épanouissaient en développant une autre forme d’intelligence, combien mon regard sur les enfants et celui entre les enfants changeaient et que la vie de classe en était améliorée. Cependant, dans le corps enseignant si je racontais mes expériences, j’étais peu entendue. Depuis deux, trois ans, la philo à l’école, qui existe depuis très longtemps, a pris un essor considérable et a été médiatisée. Ayant une expérience sur plusieurs années, j’ai voulu raconté sous forme de témoignage, mon évolution sur 20 ans de pratique. Institutionnaliser les ateliers à l’école est mon souhait le plus cher mais s’il existe des techniques d’animation, ce n’est pas suffisant, c’est ce que je raconte dans ce livre. On peut connaître des réussites mais il y a aussi des écueils, c’est pour cela que les formations d’animateurs doivent être exigeantes et solides. Pendant 20 ans, j’ai énormément progressé dans ma façon d’animer et de présenter les débats, car il faut prendre en compte tous les à-côtés : linguistiques, sociologiques et cognitifs. Cela demande beaucoup d’humilité de la part de l’enseignant. La seconde raison qui m’a poussé à écrire ce livre est que depuis quelques années l’école est mise à mal par les médias et c’est pourtant l’endroit principal où se construit la pensée (même si tout le monde ne fait pas d’ateliers philo en classe). On ne montre que ce qui ne va pas dans le système éducatif, alors que beaucoup d’enseignants consacrent leur vie à leur métier et que des enfants adorent aller à l’école. J’ai voulu décrire le quotidien d’une classe lambda. Pour finir, j’ai fait le choix d’écrire un témoignage pour garder le côté brut de mon expérience avec ses réussites et ses quelques difficultés. Je voudrais informer les derniers sceptiques que la philo à l’école est une discipline indispensable dans la formation de l’élève avec de nombreux exemples à l’appui et ainsi ne pas rester dans du théorique qui épuise les enseignants qui se sentent souvent incompris dans la réalité de leur travail.

  

Pourquoi selon toi la pratique philosophique en classe est-elle indispensable aujourd’hui ?

On critique souvent l’école et les enseignants en disant qu’ils ne répondent pas aux besoins du système éducatif, il y a le problème du harcèlement scolaire… bref il faut trouver des fautifs dans une école qui se désagrège d’année en année. Pourtant, si nous réclamons de meilleures conditions de travail, nous devons aussi constater que depuis plusieurs années, les enfants sont devenus de plus en plus individualistes et que beaucoup ont du mal à bien vivre ensemble et à se respecter. À partir du moment où les enfants s’écoutent et construisent leurs pensées en groupe, la vie de classe s’en trouve améliorée. De plus, ils gèrent mieux leurs émotions par le fait qu’ils arrivent à faire des rétrospections sur ce qu’ils vivent. Les mécanismes de pensées sont aussi réinvestis très naturellement dans les autres disciplines.

  

Qu’est-ce que la pratique philo apporte de plus qu’un cours d’EMC (enseignement moral et civique) ?

C’est Anissa, 10 ans, qui répondra à ma place pour cette question.  « En faisant des débats philo en classe, j’ai appris ce qu’était la tolérance par rapport à des cours d’éducation civique où on en parle pendant une heure comme pour une autre leçon. » Anissa a tout compris ! L’EMC est une discipline essentielle, mais à part le domaine qui concerne les institutions, il n’y a pas de texte institutionnel pour apprendre la vie en groupe. Si on regarde les programmes de près, les compétences entre l’EMC et celles des débats philo qui ne sont pas dans les textes, sont identiques. Donc ne nous privons pas de faire des ateliers même si les études de documents sont par ailleurs nécessaires. Sinon, l’EMC est une matière souvent oubliée… Par exemple en classe de première où est mon fils, il y a une heure tous les 15 jours…

  

Tu utilises la DVDP de Michel Tozzi pour animer tes ateliers philo. Pourquoi cette méthode plutôt qu’une autre ?

Quand je me suis lancée dans les débats philo au début de siècle, c’était en lisant des ouvrages et en allant dans des écoles pilotes. Les livres de référence au niveau didactique étaient essentiellement écrits par Michel Tozzi. J’apprécie aussi beaucoup Lipman. Pourquoi ce choix ? J’ai souvent des classes de 30 ou 32 élèves qui ne sont pas divisibles donc il faut s’adapter. Dans la méthode Tozzi, les enfants ont des rôles bien définis et je peux dire que si certains n’aiment pas les règles, ils adorent les DVDP. Ce côté solennel est très prisé par les élèves qui endossent un rôle important dans la discussion qu’ils vont mener. La mise en place des discussions est rigoureuse mais complètement adaptable, les élèves les plus retors adhèrent à cette méthodologie où ils ont un rôle à jouer. Il y a un immense respect de la parole de l’autre, il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses (j’interviens seulement si un enfant formule des contre-vérités). Les reformulations au cours du débat permettent aussi de faire avancer la pensée.

 

 

 

« (Grâce à la pratique philo) l’enseignant apprend à mieux connaitre ses élèves, certains en difficultés scolaires montrent de grandes capacités de raisonnement et sont moteurs dans la classe. »

 

 

 

Tu rappelles dans ton livre que la pratique du débat philo oblige l’enseignant à changer de posture. Est-ce facile pour l’enseignant et cela peut-il être déroutant pour l’élève ?

C’est tout à fait possible de changer de posture et les enfants ne prennent pas l’adulte pour un « copain », au contraire, ils sont reconnaissants d’avoir un espace de parole pour débattre sans être jugés. Je raconte dans le livre une anecdote où un jour ma directrice est rentrée dans ma classe, elle pensait que j’avais laissé mes élèves seuls, alors que j’étais assise parmi eux (rires).

 

La pratique philo en classe peut-elle changer favorablement le rapport entre l’enseignant et l’élève ? Ou les rapports entre les élèves ?

L’enseignant apprend à mieux connaitre ses élèves, certains en difficultés scolaires montrent de grandes capacités de raisonnement et sont moteurs dans la classe. Des enfants qui paraissent à l’aise dans leurs baskets peuvent avoir d’énormes souffrances. Mais nous ne sommes ni thérapeutes ni psychologues. Si je sens qu’un propos risque de devenir intime, j’interviens en recentrant le débat. Si l’enfant par contre ensuite veut se confier à moi, ce sera en toute discrétion. Personne n’a à étaler sa vie privée car des familles connaissent des drames et n’ont pas envie que leurs difficultés soient affichées sur la place publique. Je pratique la distanciation... Il faut être prêt à intervenir pour ça. Quant au rapport entre les élèves, il est complètement modifié. J’ai eu le cas de deux cousines dont les familles se haïssaient, et elles aussi sans savoir pourquoi. La situation était compliquée, en fin d’année, elles ne jouaient pas ensemble mais se toléraient, elles s’étaient écoutées et avaient compris qu’elles partageaient bien des choses en commun. Et combien d’enfants qui se dévalorisaient ou étaient dévalorisés ont pris confiance en eux au fil des débats ! Ils ont été reconnus par leurs pairs ! C’est magnifique. C’est pour ça aussi que les débats philo doivent être menés très régulièrement.

  

En quoi les débats philo t’ont-ils permis de mieux appréhender ton métier ?

J’ai appris la tolérance vis-à-vis des enfants dans mon métier. J’ai désormais un regard tout particulier sur mes élèves que je ne juge plus seulement sur les résultats scolaires. On rit souvent dans ma classe quand je dis aux enfants qu’ils n’ont pas la tête d’une fraction, d’un participe passé ou d’une proposition subordonnée relative.

 

J’ai le sentiment qu’on essaie souvent d’enfermer les discussions philo dans des thématiques difficiles, lourdes, liées aux actualités tragiques du moment ou très morales voire moralisatrices. Perd-on les bénéfices de la pratique philo en abordant des sujets plus légers ?

Mon pire débat fut lors des attentats de Charlie Hebdo car nous étions dans l’émotionnel et on avait institutionnalisé un moment de débat. Mes élèves étaient en fait les porte-paroles de leurs proches ou de ce qu’ils avaient entendu à la télé (j’ai fait des études de linguistique et ils ne s’exprimaient pas avec leurs mots comme habituellement). Il n’y avait aucune réflexion mais que des jugements. J’ai interrompu cette discussion devenue insupportable pour refaire un débat sur la différence des semaines plus tard. Il ne faut surtout pas que la philo à l’école devienne un lieu pour libérer la parole lors de moments tragiques. Pour l’avoir vécu (contre ma volonté) ça peut déraper à n’importe quel moment. De plus, demander à des profs qui animent  rarement des débats (ce n’est pas un reproche), d’improviser une discussion peut se révéler désastreux. Non pas que le prof sera incompétent, mais c’est comme si on demandait au premier venu d’aller éteindre un incendie. Je pense qu’il faut prendre garde à ne pas confondre la liberté d’expression avec ce qui ressemblerait à une tribune politique.

On peut traiter de tous les sujets mais en prenant de la distanciation avec l’actualité.

Pour moi, surtout pour les enfants, il n’y a pas de sujets légers. En pleine construction d’identité, ce qui nous paraît anodin est extrêmement important pour eux.

  

As-tu un conseil à donner aux enseignant.es qui souhaiteraient se lancer dans cette pratique ?

Il faut oser ! L’animation de débats n’est pas incompatible avec les programmes, bien au contraire car elle les enrichit et favorise l’intérêt que les enfants pourront y trouver. On peut organiser des discussions à partir de lectures, des programmes d’histoire, de géographie, de sciences, etc. C’est véritablement un changement de « logiciel » car on tient compte des réalités de l’époque.

Nos enfants sont les citoyens de demain, ce sont eux qui devront faire des choix c’est pourquoi il est important qu’ils forgent dès leur plus jeune âge leur esprit critique.

 

Interview réalisée à l'écrit par Julien Lavenu pour LaboPhilo, novembre 2020

 

  

Infos pratiques! 

Pour suivre le travail philo en classe d’Alexandra Ibanès : cliquer ici.

Lire l'interview-portrait d'Alexandra: cliquer ici.

 

 

Vous pouvez vous procurer le livre d'Alexandra Ibanès chez votre libraire.

 

Pour le commander sur Internet

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Gibert

 

 

Présentation de l'éditeur:

La philosophie a longtemps été une simple matière d'un programme sanctionnant la fin des études secondaires. Comment se connaître pour agir avec les autres et apprendre à jouer son rôle de futur adulte au sein de notre société, tel est l'enjeu de la philosophie d'aujourd'hui. L'auteure témoigne qu'en organisant des débats à visée philosophique dès l'école primaire, l'enfant trouve matière à mieux s'ouvrir au monde. Et par là même, à être mieux armé pour déjouer les pièges des influences médiatiques et des réseaux sociaux. Cet ouvrage montre que de tels débats sont des outils d'épanouissement de l'enfant et du groupe, à la condition qu'ils soient menés par de véritables professionnels de l'éducation. La philosophie mise en pratique dès le plus jeune âge retrouve sa vocation première : apprendre à mieux réfléchir pour vivre mieux.

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Une activité pour continuer à philosopher en famille:

Ci-dessus, les enfants de Lezartcrea (Maroc) joue avec Latifa Nejjari, animatrice philo. Merci à elle pour les photos!

Le Pèle-mêle des émotions

 

Ce jeu de plateau (en vente dans la boutique) à pour objectifs d’apprendre à reconnaître les émotions, de construire un champ lexical des émotions et d’apprendre à argumenter et donner des exemples.

Le plateau est disposé au centre du groupe de joueurs.

Jeu 1. Les cartes-mots sont empilées faces cachées sur le carré bleu au centre du plateau. Le meneur de jeu en pioche une et la lit à voix haute. Les joueurs doivent poser leur index sur une image du plateau compatible avec l’énoncé de la carte. Les joueurs doivent argumenter pour expliquer leur choix. Si l’argumentation est jugée recevable, les joueurs marquent un point. Le jeu continue jusqu’à épuisement de la pioche.

Jeu 2. Les cartes-images de la pioche sont empilées faces cachées au centre du plateau (sur le carré bleu). Lorsque la première carte est retournée et placée face visible au sommet de la pile, les joueurs doivent poser leur index sur l’image identique du plateau. Le premier à avoir posé son doigt gagne l’image. La deuxième image est alors retournée, et ainsi de suite jusqu’à ce que la pioche soit épuisée.

Un jeu que les enfants adorent !

A partir de 4 ans.


 

 

Le jeu du Pêle-Mêle émotions est fourni avec le "kit pédagogique émotions 2".

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