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Pourquoi philosopher dès l’école? par Alexandra IBANES, enseignante

Alexandra Ibanès. Michel Tozzi. Philosophie pour enfants

 

Depuis plus de 15 ans, j'anime des débats à visée philosophique dans mes classes. En 2017, j'ai décidé de théâtraliser le livre de Michel Tozzi : La morale ça se discute. Le 25 mai, les enfants ont donné une représentation unique en présence de l'auteur et ont fait un véritable tabac. L'École des lettres dans sa revue papier a publié l'article que j'ai écrit à ce sujet et qui raconte cette merveilleuse aventure:

 

(L’École des lettres 2016-2017, n° 487)

« Les attentats terribles en France en 2015 ont rappelé la nécessité de former nos enfants à l’esprit critique. Cette éducation à la citoyenneté, à la fraternité, à l’ouverture d’esprit ne peut se faire sans la famille et l’école, dit Edwige Chirouter dans sa préface aux Ateliers Philo à la maison, de Michel Tozzi et Marie Gilbert (Eyrolles, 2016). »
Le même Michel Tozzi a relayé en France, avec un groupe de recherches de l’université de Montpellier, un phénomène apparu aux États-Unis dans les années 1980 sous l’impulsion du pédagogue et philosophe Matthew Lipman : la philosophie pour les enfants.
Depuis, des maîtres se sont formés pour animer des débats à visée philosophique (DVP) auprès des enfants dès la maternelle, afin de leur apprendre à ne pas se fier aux apparences, à définir de meilleures conditions de communication, à construire des concepts en rapport avec les principes démocratiques. Pratiqués depuis plusieurs années dans les écoles primaires, les DVP sont en phase avec les attendus de fin de cycle 3. Ils permettent aux élèves d’identifier et d’exprimer, en les régulant, leurs émotions et leurs sentiments, de développer l’estime de soi de même que les capacités d’écoute et d’empathie. Enfin, ces débats favorisent la réflexion critique par la confrontation du jugement personnel à celui d’autrui dans une discussion ou un débat argumenté.

 


Philo-théâtre à l’école primaire
Pourquoi philosopher dès l’école ?

 

 

Qu’est-ce que le débat à visée philosophique ?
Ainsi, le DVP vise à développer une réflexion qui dépasse la simple accumulation de savoirs. Il les analyse, les confronte, les relie. En provoquant de nouveaux regards sur le monde et sur les autres, et en établissant des passerelles entre les disciplines, il favorise la construction des élèves en termes de comportement, d’éthique.
L’enfant est rapidement confronté à toutes les expériences de la vie : plaisir, douleur, maladie, séparation, mort. Il reçoit par ailleurs une multitude d’informations émanant des parents, de l’institution scolaire, des camarades, des médias. Il n’est pas donc pas ignorant et a acquis suffisamment de connaissances pour pouvoir débattre de questions que l’on peut plus ou moins directement rattacher à certains domaines traditionnels de la philosophie :
– la métaphysique (est-on toujours libre ? est-on obligé de croire ? quel est le sens de notre existence ?, etc.) ;
– l’éthique (à quoi sert la punition? ce qui est juste peut-il parfois être injuste ? doit-on toujours dire la vérité ?, etc.) ;
– l’esthétique (qu’est-ce qui est beau et pas beau ? pourquoi suit-on la mode? à quoi sert l’art ? qu’est-ce qui fait la beauté d’une personne?, etc.) ;
– l’ontologie (pourquoi a-t-on peur ? pourquoi est-on triste ? pourquoi doit-on travailler ? pourquoi les enfants ne pensent-ils pas comme les adultes ? la machine va-t-elle un jour commander à l’homme?, etc.) ;
– la logique (les sciences apportent-elles la vérité ? comment reconnaître ce qui est vrai ?, etc.) ;
– les contraires philosophiques (moi et autrui, raison et passion, etc.).

On le voit, de nombreux thèmes peuvent être abordés, à condition que l’enseignant amorce et nourrisse les débats en fonction des centres d’intérêt des enfants et de leur âge.

 

  

Le débat à visée philosophique en pratique
Parler philo n’est pas parler de philo. C’est un mode de conversation comportant des codes à définir d’emblée et à faire respecter par les élèves. Il ne s’agit pas de monologuer face à un auditoire, mais de trouver une configuration de discussion permettant l’expression de chacun.
Pour ma part, j’anime des débats à visée philosophique depuis une quinzaine d’années et je suis toujours agréablement surprise par l’intelligence des propos tenus par les enfants. Mais la condition première, afin d’éviter toute confusion, est d’établir des règles. Je travaille à partir d’un « cercle de conversation ». La configuration matérielle a son importance: les bureaux sont installés en U, et chaque élève a un rôle bien défini.
Une responsabilité particulière est confiée au “distributeur” qui note les noms des participants souhaitant s’exprimer durant le débat : ils devront lever la main et attendre leur tour de parole en écoutant les autres. Une fois définies, ces règles de discussion sont respectées, et mieux que dans bien des cénacles d’adultes ! En tant qu’enseignante, j’endosse la fonction de “secrétaire de séance” et je prends des notes car il est très difficile, à dix ans, de noter les pensées de ses camarades. J’interviens aussi, naturellement, pour relancer le débat, encourager un enfant à s’exprimer ou reformuler une idée appauvrie par le manque de vocabulaire, mais toujours en demandant à l’enfant s’il est d’accord avec ma reformulation.
Le DVP implique donc «éthique communicationnelle» et «civilité scolaire». Les enfants apprennent à clarifier leurs idées, à écouter l’autre sans se moquer, à ne pas lui couper la parole et à admettre les différences. Après plusieurs années d’animation des DVP, j’ai pu constater que «philosopher » en classe est une discipline essentielle dans la construction de l’enfant. Chacun peut s’exprimer avec son vocabulaire propre et développer une intelligence intuitive que ne favorisent pas nécessairement les savoirs scolaires. Souvent, mon regard a changé sur des enfants en grande souffrance dans leurs apprentissages quotidiens, qui se révélaient moteurs dans le débat et avaient une réflexion parfois plus profonde que leurs pairs. Le regard que leurs camarades portaient sur eux changeait, mais aussi leur propre regard sur eux-mêmes: incités à mettre en avant leurs pensées, ils prenaient conscience du fait que leur personnalité, pour n’être pas coulée dans le moule scolaire, pouvait aussi avoir sa richesse.


Voici quelques ressentis des enfants:
– « C’est bien de dire ce qu’on pense, il y a des bonnes idées et de moins intéressantes. On s’est tous entendus, écoutés. »
– « J’ai trouvé ça bien, mais ce qui m’a plu, c’est de pouvoir m’exprimer. La philo laisse aux enfants la liberté de s’exprimer. »
– « J’ai beaucoup aimé le débat philo, j’ai pu donner mon avis, même si les autres n’étaient pas d’accord. En plus, j’ai appris un peu mieux ce que veut dire la tolérance. »
– « Pratiquement tout le monde a participé, et on a tous appris quelque chose. »
– « C’est une bonne manière de s’exprimer, et ça aide à mieux connaître nos amis et leur cœur. »
– « Ça m’a apporté des choses que je ne savais pas sur mes camarades, je les vois différemment. »
– « On apprend à ne pas se moquer des autres et à ne pas répondre par la violence. »
– « Ça m’a fait réfléchir et j’ai écouté les autres, je m’aperçois que tout le monde ne pense pas comme moi et je vois comment mes copains réfléchissent. »

 
Une expérience de classe : le philo-théâtre
Afin de montrer, tant aux parents qu’à mes collègues, la richesse des propos échangés lors de ces DVP, j’ai décidé de théâtraliser des extraits du livre de Michel Tozzi, La morale, ça se discute... (Albin Michel jeunesse, 2014), en intercalant les pensées des enfants dans un spectacle de « philo-théâtre» qui a été présenté aux
familles. Après avoir présenté les personnages des saynètes philosophiques, la classe a décidé de les mettre en scène. Entre chaque extrait ont été lues des réflexions philosophiques correspondant aux sujets choisis en commun.
Si j’ai choisi cet ouvrage pour mener les débats à visée philosophique dans ma classe, c’est que le premier extrait proposé à mes élèves a été un succès. Immédiatement, les personnages, quatre copains, Théo, Raf, Zoé et Léa, qui adorent discuter autour des notions fondamentales de la morale, du respect, du bonheur, de la justice, etc., sont devenus leurs nouveaux camarades de classe.
Afin de mettre en perspective les activités que je propose, et après avoir expliqué ce qu’est la philosophie et ce que j’attends des débats à visée philosophiques, j’ai fait travailler mes élèves sur l’origine du théâtre. Ils ont découvert que, il y a vingt-cinq siècles, naissaient simultanément dans la société athénienne le théâtre et les premières formes démocratiques dans la vie politique et publique et que, depuis, les mêmes enjeux de société perdurent. La pratique du théâtre à l’école ne vise évidemment pas à former des apprentis comédiens, mais à développer la personnalité de l’enfant tout en l’entraînant à communiquer. Selon Jean-Pierre Ryngaert, professeur, formateur et metteur en scène, le théâtre à l’école contribue à « former des êtres humains sensibles, réceptifs, ouverts, capables de donner et recevoir » et des « citoyens porteurs d’un regard critique sur le monde ». Pour la mise en scène, j’ai choisi d’utiliser la méthode Stanislavski, dans laquelle l’acteur n’est plus considéré comme un «démonstrateur » de sentiments et d’émotions, mais devient un créateur, un passeur, en allant chercher en lui sa propre vérité qui lui fera rejoindre celle de son personnage. Désormais, pour bien terminer chaque semaine, je consacre la dernière heure du vendredi à ce projet de philo-théâtre. Les enfants répètent par petits groupes en aide personnalisée pendant la pause méridienne. Des vocations sont en train de naître ! Des élèves timides qui voulaient juste être lecteurs de réflexions pendant la représentation souhaitent avoir à présent avoir un rôle, et de gros progrès ont été réalisés à l’oral.
 

Le débat à visée philosophique pour mieux grandir
À condition d’être menés régulièrement, les DVP peuvent transformer le climat d’une année scolaire. Ils présentent donc un intérêt évident non seulement dans le développement de l’enfant, mais aussi un intérêt pour l’enseignant qui se trouve mieux à même de comprendre les questionnements, les espoirs et les craintes des élèves.
Ils nous montrent que, à dix ou onze ans, les enfants sont capables de faire preuve de réflexion et peuvent avoir d’autres centres d’intérêt que la téléréalité, les réseaux sociaux ou la mode, ce qui a presque la force d’une révélation dans un contexte où l’on ne cesse d’entendre que « le niveau baisse » et où l’idée reçue dominante est que « c’était mieux avant ».
Dans un monde individualiste et incertain, où les connaissances sont segmentées, ils apprennent aux enfants à écouter, argumenter et nuancer leurs propos.


ALEXANDRA IBANÈS
Académie de Montpellier

 

Pour suivre le travail philo en classe d’Alexandra Ibanès : cliquer ici.

Lire l'interview-portrait d'Alexandra: cliquer ici.

 

NOTABENE

A paraître prochainement aux Editions de l'Harmatan, le livre témoignage d'Alexandra sur ses dix-huit années de pratique philo à l'école où elle nous explique comment la philo en classe a changé son métier d'enseignante (je vous tiens au courant!).

 

Michel TOZZI et Alexandra IBANES
Michel TOZZI et Alexandra IBANES

Repères bibliographiques :
– Michel Tozzi, La morale, ça se discute..., Albin Michel Jeunesse, 2014 ;
– Dossier philo, in La Classe n°220, juin-juillet 2011 ;
– Roger-Pol Droit, Osez parler philo avec vos enfants, Bayard, 2010 ;
– Alain Héril & Dominique Mégrier, 60 exercices d’entraînement au théâtre, Retz, 2001 ;
– Alain Héril & Dominique Mégrier, Entraînement à l’improvisation théâtrale, Retz, 1999 ;

– les livres des éditions Les petits Platons ;
– la collection « Philoz’enfants », chez Nathan ;
– les collections « Piccolophilo » & « Philo-fables » de Michel Piquemal, chez Albin Michel.


D'autres articles d'Alexandra Ibanès:

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Une activité pour continuer à philosopher en famille:

Ci-dessus, les enfants de Lezartcrea (Maroc) joue avec Latifa Nejjari, animatrice philo. Merci à elle pour les photos!

Le Pèle-mêle des émotions

 

Ce jeu de plateau (en vente dans la boutique) à pour objectifs d’apprendre à reconnaître les émotions, de construire un champ lexical des émotions et d’apprendre à argumenter et donner des exemples.

Le plateau est disposé au centre du groupe de joueurs.

Jeu 1. Les cartes-mots sont empilées faces cachées sur le carré bleu au centre du plateau. Le meneur de jeu en pioche une et la lit à voix haute. Les joueurs doivent poser leur index sur une image du plateau compatible avec l’énoncé de la carte. Les joueurs doivent argumenter pour expliquer leur choix. Si l’argumentation est jugée recevable, les joueurs marquent un point. Le jeu continue jusqu’à épuisement de la pioche.

Jeu 2. Les cartes-images de la pioche sont empilées faces cachées au centre du plateau (sur le carré bleu). Lorsque la première carte est retournée et placée face visible au sommet de la pile, les joueurs doivent poser leur index sur l’image identique du plateau. Le premier à avoir posé son doigt gagne l’image. La deuxième image est alors retournée, et ainsi de suite jusqu’à ce que la pioche soit épuisée.

Un jeu que les enfants adorent !

A partir de 4 ans.


 

 

Le jeu du Pêle-Mêle émotions est fourni avec le "kit pédagogique émotions 2".

Pour commander, cliquer ici:

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