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Apprendre à écouter: un devoir professionnel en philo pour enfants

Un atelier philo sur la différence
Un atelier philo sur la différence

 

Écouter est une aptitude naturelle de l’humain, mais rien n’est jamais acquis et, lorsque le bruit intérieur s’installe, il n’est pas toujours aisé d’aller à la rencontre des mots de l’autre. Souvent, nous pensons avoir compris, mais nous faisons erreur : nous avons plaqué nos propres intentions sur ce que l’autre a dit. Alors, nous n'écoutons plus vraiment, une oreille traîne vaguement, mais notre conscience est aux trois-quarts orientée vers nous-mêmes: nous réfléchissons déjà à ce que nous allons répondre. Parler nous est tellement plaisant - le babil ne serait-il pas un de nos premiers plaisirs d'enfance?

 

Un manque d’attention, une psyché trop envahissante, quelques biais cognitifs mal contrôlés, une belle paire de stéréotypes usés et c’est l’erreur : nous sommes passés à côté de ce qu’on nous a raconté. Et, pour aggraver encore la chose : nous sommes persuadés d’avoir compris.

  

La pratique philosophique nécessite de reconsidérer nos capacités à écouter. Car un bon praticien, c’est avant tout un expert de l’écoute ! À tel point qu’un défaut d’écoute est pour lui une véritable faute professionnelle : elle biaise toute une discussion.

 

Comment faire pour pratiquer une bonne écoute philosophique ?

Quatre conseils :

1. Faire le silence intérieurement (mettre nos pensées en sourdine, évacuer nos ruminations, laisser nos soucis à la porte…) – un peu de méditation, ça peut aider.

2. Lâcher prise sur nos certitudes (reconnaître qu’on ne sait rien, et qu’on a tout à apprendre de l’autre, se mettre entièrement à sa disposition, se décentrer de soi).

3. Questionner la personne qui parle, lui demander d’approfondir, ou de résumer si l’on n’a pas saisi le concept principal dans ce qui a été énoncé. Attention: il s'agit de questionner pour comprendre, et non pour orienter vers la réponse que l'on attend, un petit vice fréquent, le vice classique de l'adulte sachant (pour le guérir, revoir le conseil n°2, et travailler longuement dessus).

4. Reformuler ce qui a été énoncé et demander si cette reformulation est correcte. Chercher soi-même le concept si la personne qui parle ne le trouve pas et demander sa validation.

 

Il m’est arrivé très souvent de me rendre compte que je n’avais pas compris ce qu’un enfant m’avait dit. Parfois, je m’en rends compte en direct, parfois, c’est en réécoutant la discussion enregistrée sur mon dictaphone. Les enfants peuvent être déroutants, surtout les plus petits, il faut les suivre !

 

Voici trois exemples, l’un personnel, les autres entendus ailleurs, au sujet de l’écoute en philosophie pour enfants.

 

Le premier cas, un parmi des milliers, m’est arrivé lors d’un atelier avec des maternelles. La question : « Pourquoi faut-il protéger la nature ? » Pour y répondre, on opère donc un travail de conceptualisation sur ce qu’est la nature. Voici un extrait de la discussion :

« Moi : Qu’est-ce qu’il y a dans la nature ?

Nassim (5 ans) : La nature, ça peut être des fruits, mais ça peut être des fruits qui ont été faits par un monsieur qui a peint.

Moi : Et alors, des fruits peints, est-ce que c’est la nature ?

Nassim : Bah oui, c’est la nature morte. »

Un peu d’arrogance, une faute d’inattention, et boum, je bottais en touche en arrêtant le dialogue à la première réponse, sans questionner derrière, comme le font souvent les adultes, croyant tout savoir, avoir tout compris (« Mais non, mon petit, la peinture, c’est de l’art, ce n’est pas la nature »). Écouter vraiment, c’est essayer d’entrer dans la tête de l’autre. J’explique souvent aux enfants que c’est un pouvoir magique que tout le monde possède, même si presque personne ne l’utilise. Demander à l’enfant d’approfondir sa pensée, c’est très simple, et permet d’éviter l’écueil, de passer à côté d’une révélation comme seuls les enfants, moins gâchés que nous par les certitudes, peuvent en faire.

 

Défaut d’arrogance ?

Oui, dans ce deuxième cas rapporté par Oscar Brenifier. Lors d’un atelier mené par une enseignante sur l’art, un enfant amène le critère de la ressemblance comme critère du beau.

« C’est pas beau parce que c’est pas ressemblant », dit l’élève. L’enseignante, qui a des idées un peu plus élevées sur l’art, rejette le critère. Brenifier, qui observe l’atelier, intervient :

« Mais pourquoi vous ne notez pas ce critère au tableau ?

- Mais enfin, réplique l’enseignante, l’art, c’est plus que ça ! »

Et Brenifier de lui faire remarquer qu’elle vient de jeter à la poubelle un critère qui a été au cœur de l’histoire de l’art pendant des siècles, celui de la ressemblance, du rapport au réel, à la vérité (on pourra lire Platon à ce sujet). Mais, pour cette dame, l'impressionnisme est passé par là.

 

Nos connaissances, nos idées sur les choses, nos préjugés, loin de nous aider à accéder à la pensée d’autrui sont parfois de terribles pièges, de hauts murs qui nous en isolent, et là, c’est perdu à jamais, la relation est rompue.

Et je ne parle même pas de l’enfant qui se trouve exclu du débat, voire rabaissé par l’arrogance de l’adulte qui sait tout. Dans l’exemple de ma petite discussion avec Nassim, je n’ai pas manqué de lui faire remarquer qu’il m’avait fait prendre conscience d’une chose à laquelle je n’aurais jamais pensé par moi-même, déjà corrompu que je suis par quelques connaissances !

 

Pour finir, encore une fois sur le défaut d’attention et la corruption de nos pensées par nos connaissances (après tout, savoir des choses, ça nous a demandé des efforts, parfois de longues études, alors nous nous y accrochons un peu, nous ne voulons pas y renoncer trop vite ; et il faut le reconnaître aussi : notre culture nous est souvent d’une aide précieuse, elle nous permet de vite comprendre, de vite analyser, d’avoir un juste point de vue sur le monde…), voici un troisième exemple relevé dans le film Le Cercle des petits philosophes de Cécile Denjean (2019).

 

Dans ce documentaire, on suit Frédéric Lenoir dans les classes où il anime des ateliers philo avec les enfants. Lors d’un atelier, il demande aux enfants quelles questions ils souhaitent aborder. Une petite fille demande : « Pourquoi on se maquille ? » Frédéric répond, le sourire aux lèvres, que ce n’est pas une question philosophique.

Et boum, c’est une catastrophe ! Une magnifique occasion manquée. Manquée doublement. Manquée sur le plan philosophique, car cette question est excellente à traiter en atelier (et on imagine tout ce que les enfants ont à dire sur ce sujet, et où ils auraient pu nous emmener). Manquée pour l’enfant qui, encore une fois, se voit moqué par l’adulte, exclu de la sphère de ceux qui savent les choses et jugent sans avoir approfondi, parce qu’ils n’ont pas pris cette petite seconde de pause nécessaire à l’écoute vraie, cette seconde nécessaire pour faire taire les bruits intérieurs. Le monde exclusif et excluant des adultes possesseurs du savoir, encore.

Attention, je ne condamne pas Frédéric Lenoir, ce serait malhonnête, il m’est arrivé de gaffer autant que lui, ça nous est arrivé à tous. Hélas, pour lui, c’est gravé dans le marbre numérique ! Et il doit, tel Sisyphe poussant son rocher, revivre cette scène pénible lors de chaque projection-débat, et chaque fois confesser son erreur.

Car il sait qu’il a fauté, bien sûr. Et, lors de sa conférence lilloise, à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister, il a reconnu cette faute. Il nous a avoué regretter aujourd’hui d’avoir évacué un peu trop promptement la question de la petite fille.

  

L’écoute, c’est un travail sur l’humilité, sur notre vulnérabilité, sur notre faillibilité, difficile à admettre lorsqu’on est devenu grand, et surtout face aux enfants. Cette écoute si importante que nous exigeons d’eux, tout le temps, nous devons nous la réapproprier nous-mêmes.

 

 

© Julien Lavenu, LaboPhilo, 2020.

Ecoute philosophique en ateliers philo pour enfants. Philosophie pour enfants.

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